Pour vous permettre de découvrir par avance la poésie de Duane Sarjec,
Et afin de vous donner envie d'assister à son prochain spectacle de poèsie.
Je vous met en ligne un de ces poèmes.
Ars longa sed vita dura.
La nuit était tombée, si noire et si glaciale
Que les bouches d'égout fumaient plus que l'Enfer
Un temps à faire grelotter un manchot royal
Et à voir surgir un troupeau d'ours polaires.
La lune, les étoiles, comme des oiseaux migrateurs
Avaient disparu du ciel obscur de Paris
Pour prendre leur congé du côté de l'Equateur
En nous abandonnant dans un ciel noir et gris.
Même sous les lourds manteaux, le froid mordait les chairs
Dévorant les gens qui s'aventuraient dehors
Comme une meute de loups féroces et sanguinaires
Enivrés par la haine, le carnage et la mort.
Poursuivis par le froid, les passants courageux
Dans les restaurants et cafés s'entassaient
Et les fumeurs de bédos les plus vigoureux
Tiraient vite sur le joint et puis disparaissaient.
C'est alors que surgit d'une démarche titubante
Un clochard si crasseux qu'il semblait pétiller
Plus qu'une coupe de champagne de vermine grouillante
Zigzaguant comme une nef qu'on voudrait torpiller.
Face au roi de la rue, le monde cédait passage
En obéissant à un curieux protocole
Ce monarque, se rendait sans le moindre équipage
Chez l'épicier arabe qui vendait de l'alcool.
Comme un navire au mouillage dans une calanque
Ce bateau ivre...venait remplir sa citerne
Pour charger le tonnage des degrés qui lui manque
Faire le plein du moteur à combustion interne.
Ce glorieux roi nous fit une sortie triomphale
Exhibant sa bouteille comme une jeune mariée
Il ne lui manquait plus que la marche nuptiale
Un long cortège et des confettis, par milliers.
Dans le creux de son bras, avec délicatesse
Il caressait sa belle le regard langoureux
Comment rester insensible à tant de tendresse
Emanant de ce vieux sans abris amoureux.
En redescendant la rue je l'ai aperçu
Il s'est écroulé sur une grille de métro
Après s'être enveloppé d'un pardessus
Blotti chaleureusement contre un autre poivrot.
La bouteille, protégée entre les deux dormeurs
Veillait sur leur sommeil comme une sentinelle
Elle était leur foyer leur survie leur bonheur
La carburant, lubrifiant et l'antigel.
C'était l'unique lumière au fond de leurs ténèbres
Une vapeur nauséabonde montait vers les cieux
Me rappelant une cérémonie funèbre
Celle des hindous qui partaient rejoindre leurs dieux.
Je laissais à leurs rêves les deux pauvres pochetrons
Et glissait dans une enveloppe un peu de ferraille
Que je posais avec adresse près du bouchon
Pour leur faire passer un lendemain moins duraille.
Arrivé en bas de la rue Jean-Pierre Timbault
Je suis rentré tout seul rejoindre mes pénates
Je pensais à l'insignifiance de mon cadeau
Et à mon impuissance face à cette vie ingrate.
Ce n'est qu'une foi enfin rentré à la maison
Au chaud mais le coeur vide que j'ai pensé à toi
Et à tout cet amour plus fort que la raison
Qui fait saigner mon coeur si loin de toi... j'ai froid.
Duane Sarjec. Printemps des poètes 2010.
Vendredi 13
Vendredi 13, depuis toujours
C'est le vendredi 13 tout court
C'est vendredi 13 tous les jours
C'est vendredi 13, mon amour!
Aujourd'hui c'est le jour de poisse
Des tuiles des galères et des crasses
On y a tous droit quoi qu'on fasse
Mais j'assumerai à ta place.
Tes migraines et tes rages de dents
Et tous les petits accidents
Les malheurs et les incidents
Le mal dehors le mal dedans.
Le mal au dos les meurtrissures
Les maux de tête et les gerçures
Les brûlures les piqûres les morsures
Les coupures, les points de sutures.
Ton stock de douleurs musculaires
Les lombaires, les articulaires
Celles qui n'arrivent pas à se taire
Douleurs primaires et secondaires.
C'est moi qui me ferai pincer
Dans une porte resterai coincé
Celui qui sous une pluie glacée
Se fera tremper et rincer.
Toutes les douleurs qui te lancent
Toutes les peines et les souffrances
Que tu traînes depuis ton enfance
Offres-les moi! Donne moi cette chance!
Tu sais, moi la douleur physique
Que l'on me griffe que l'on me pique
Ni masochiste ni même sadique
Je reste toujours aussi stoïque.
Je finirai à l'hôpital
Comme quartier de viande sur l'étal
Bien plus trouvé qu'un emmental
Ce n'est pas grave c'est bien normal.
Qui se soucie de mon malheur?
De ma peine ou de mes douleurs?
De ma misère ou de mes pleurs?
Tant que tu marches sur des fleurs.
J'aurai l'impression d'être utile
Le coeur plein de rêves futiles
Je pourrai me tenir tranquille
Les moments les plus difficiles.
En ce qui concerne l'argent
J'en ai si peu c'est affligeant
Pas pour autant décourageant
A part pour la plupart des gens.
Tous tes ennuis tous tes problèmes
Je les prends parce que je t'aime
Les garderai sans qu'ils essaiment
J'en ferai même des poèmes.
C'est vendredi 13 mon amour
C'est le vendredi 13 tout court
C'est vendredi 13 tous les jours
C'est vendredi 13 pour toujours!
Ces deux poèmes sont tirés de l'ouvrage
"Le bouquet de fleurs en papier" de Duane Sarjec.
Je vous remercie pour votre attention et votre présence.