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  • Il faut aimer.

    Il faut aimer disait souvent l'Ancien. C'est bien tout ce qui nous reste ajoutait-il le regard un peu vague.(...)

    Il s'y connaissait en souvenirs. Il était riche d'un bon millier d'années. Les autres, il les détectait. Je me demande même s'il ne les détestait pas un peu. Leurs failles, leurs errements, leurs bassesses et parfois le dernier soupir de vie moins sale que le reste, le dernier quart d'heure de survie d'âme, tout, il voyait tout. Dire qu'en face de lui vous vous trouviez l'âme mise à nue n'était pas exagéré.

    Pourtant de l'âme il leur en trouvait toujours un peu, moi qui n'en voyais plus trace nulle part!

    La vie, la grosse, celle qui avait des allures de char d'assaut, celle dont je pressentais la connerie intrinsèque dans certains récits d'autrefois, cette vie là avait tout arraché, tout emporté. Tout ce qui pouvait patiemment faire émerger l'ombre d'une présence intérieur. Pour ce qui me concernait, je ne voyais dans les agissements de mes soi-disant semblables qu'une immense envie de posséder, de dominer, d'intégrer, de digérer, de phagocyter. Je les voyais même s'éloignant pour la digestion, repus tel des hyènes ou des charognards!  Mais l'Ancien persistait, insistait, me répétant qu'il fallait bien leur en trouver un peu d'Humanité à tout ces bougres et à leurs compagnes : les bougresses! Il fallait, disait-il souvent. Sinon vois-tu il y aurait de quoi désespérer... Et l'Ancien détestait cela. Il n'était pas prêt à se laisser envahir par le désespoir, pas prêt à se laisser monter comme un bourricot par des conclusions aussi sombres.

    J'écoutais souvent l'Ancien parler de sa vie d'avant. Des récits, il savait en faire de très longs. Posés prés de nous sur une table basse, du cidre, quelques olives, des cigarettes... Le feu crépitait dans la cheminée. La nuit tombante assombrissait la pièce, deux ou trois gestes de plus et quelques lumières douces s'allumaient ici et là. C'était parti : assise en chien de fusil sur un sofa, j'écoutais de toutes mes fibres, le vent du récit souffler dans la maison.

    "Heureusement que la lumière existait encore et qu'il était possible de lire la description des ailleurs dont on avait tant rêvés dans les récits des autres. Heureusement qu'au cours de nos trajets nous échangions quelques phrases; parce que cette ballade était plus une marche forcée, un truc de "crevards", qu'une promenade à proprement parler, de toute façon tout le monde savait qu'elle conduisait au cimetière. Personne n'avait oublié. On avait juste mis ça de côté en attendant, parce que franchement on n'y pouvait rien changer. En attendant on échangeait nos impressions. On se décrivait le même paysage dévasté. On se donnait des trucs pour s'y retrouver un peu. Tiens là regarde, y'a un peu d'eau. Va à droite c'est plus marrant. Bref ça ressemblait à un paysage de science-fiction ici. Y'avait ceux qui savaient, qui voyaient, qui comprenaient et puis les autres...On n'en parlait même plus tellement ils étaient bizarres, différents. Tellement, qu'à les regarder on se disait qu'on n'était vraiment pas nés sur la même planète. Rien à faire. On ne s'y faisait pas. Cette espèce de truc dégueu qu'on essayait de nous faire avaler sans cesse n'avait aucun goût, aucune saveur. Et ils appelaient ça la vie! Ca les amusait de parler de ce truc sans queue ni tête qui leur servait d'existence. Mais moi je savais bien qu'au fond y'avait pas grand-chose qui leur plaisait. C'était juste impossible à dire. On leur aurait dit qu'ils déprimaient ou quelque chose du genre. Et là  ils auraient ressentis quelque chose de si horrible, qu'il valait mieux ne pas savoir; continuer comme ça en ignorant, en faisant semblant de gober un peu toutes les conneries qu'on vous racontait pour vous faire avancer. L'air de rien, avancer en fermant sa bouche. En répondant gentiment à la question habituelle et qui ne manquait pas de revenir en boucle : Et vous alors? Vous en pensez quoi? Oh moi vous savez...Ce que j'en pense? Pas grand-chose en fait...Et de reprendre son chemin en ayant l'air le moins intelligent possible. Pas la peine d'essayer de comprendre y'avait rien à comprendre c'était ça la bonne blague du jour. Mais bon valait mieux la garder pour soi celle-ci, elle était bien trop grinçante pour être prononcée. Elle nous aurait attirée des vilains trucs, on en avait assez comme ça des sales trucs. Valait mieux se taire. Valait mieux continuer de marcher les yeux baissés, sans trop se poser de questions, éviter de longer trop de murs gris. Ca vous fichait par terre. Ca semblait dire en grimaçant. Vous finirez tous ici! Mais oui on savait... Valait mieux se faire transparent, aussi transparent que possible. Bien fermé, bien silencieux, ne pas la ramener. Ca tapait de tous les côtés. Ca faisait jamais semblant. Un coup de trop et c'était la fin. Le voyage sans retour. Alors on se planquait. On disait plus rien. On savait bien nous qu'on n'avait plus aucune chance. On savait bien qu'on était vidé, aspiré de l'intérieur, qu'on n'était pas loin de se dissoudre dans les tonnes de flotte qui nous tombaient dessus tous les jours. On savait bien mais on le disait plus. Valait mieux se taire qu'on se disait tous du regard quand on se croisait. Y'avait pas à dire la comédie était parfaite, la mascarade complète!

    Il fallait sans cesse se reprendre en regardant les singes jouer de leur pouvoir comme on roule des mécaniques, s'empêcher d'aller leur cracher à la gueule, ça vous prenait toute votre énergie!

    Et cette énergie il fallait la garder. C'était précieux de l'énergie. Y'en avait peu. Fallait économiser. C'était pas facile de faire comprendre à ceux qui ignoraient tout, que le souffle était rare. De drôles de choses se mettaient à nous faire saliver du cerveau....Par exemple moi je rêvais d'aller respirer au goulot d'un tendeur de bonbonne d'oxygène, de la vraie, de la pure : de l'oxygène! Ah et puis qu'on cesse de venir me parler! Je pouvais plus saquer les blablas. Des questions j'en avais plus, et celles des autres j'avais envie de les retourner en paire de baffes. La ferme tu veux!

    Des salauds y'en avait partout, des riens qui cherchaient uniquement à remplir leur moulin à connerie. Ca, on ne les avait pas prévenus les marmots: moins tu causes mieux c'est! Et dis toi bien qu'à part ta mère ceux qui semblent intéressés par tes histoires ne cherchent qu'à faire de toi le sujet de leur dernière plaisanterie! Ridiculiser, ça ils savaient faire les ordures. Rien à dire! Du bon boulot. Elle était belle la vie, fallait voir un peu ce que c'était que ce ramassis de cloportes qui servaient de rouages à cette société pourrissante.

    Tous les jours à la radio, dans les journaux, on nous sortait la dernière affaire, le dernier scandale, la dernière escalade de violence, les dernières émeutes. Ca vous sortait par les trous de nez de les entendre s'énerver derrière leurs micros! Des racontars de fins de marché, de la sornette débitée en kilos. Untel à fait ci, untel à fait ça. On s'en branlait tous comme de notre dernière année de maternelle. Rien à foutre, on s'en tapait sérieux. Nous ce qui nous inquiétait au quotidien, c'était de finir le mois. De tenir le coup jusqu'au mois suivant. On n'avait pas le choix. On crevait de faim. Fallait pas lâcher bon dieu, fallait pas tomber! Y'avait trop de clochards dans les rues, trop de misérables, trop de mendiants. On avait peur je vous dis. Peur de finir comme eux, à la cloche, sous les ponts, un kil de rouge pour te tenir chaud et hop t'avais plus qu'à crever! Tout le monde s'en foutait! ".

    Sa jeunesse il me la servait comme ça, par tranches, les soirs où ça lui revenait. La dureté de l'existence il la connaissait bien. Ca lui faisait pas peur de lâcher la bride aux paroles contenues depuis longtemps. Moi j'apprenais à écouter, mais comme j'étais un peu fascinée je n'écoutais plus vraiment. Alors je me mettais à rêver. Sa voix caressante, presque anesthésiante m'emportait. Je suivais ses traces. Je voyageais dans les contrées irréelles de ses souvenirs.

    Il faut aimer, c’est tout ce qu’il nous reste, disait alors l'Ancien en guise de conclusion. Il savait bien lui qu’à toute cette violence il fallait opposer un peu d‘amour sinon quoi, toute cette comédie, tout ce cinéma n’aurait servit à rien. Nous n’aurions pas été autre chose que des pantins désarticulés, des mollusques ou des invertébrés, des sacs de viande occupés à se remplir et à se vider ?! C’était pour lui une chose impensable qu’il valait mieux oublier dans la seconde. Nous quittions la pièce où les bûches transformées en braises finissaient de s’effondrer sur elle-même, rongées par les flammèches qui léchaient encore par intermittence la suie de l’écorce brûlée.

    J’observais le miroitement des flammes bleues dans ses yeux, le rougeoiement des braises sur son visage, je sentais contre ma jambe la brûlure provoquée par la chaleur de l’âtre. Et je savais, en gravant cette scène dans ma mémoire qu’elle me procurerait longtemps, une sensation de paix infinie.

  • L'ironie.

    medium_collage168.2.jpgAinsi donc il fallait sourire, s'armer de patience et ouvrir la bouche comme on fait "areu" bébé puisque cela plait, puisqu'aussitôt cela s'esbaudit et se congratule fièrement autour. Ainsi donc chaque jour en regardant ses congénères on se disait qu'aucun d'entre eux n'aurait compris cette grève du sourire, cette grève du bonheur. Je n'étais pas une vache ni un quelconque autre animal je n'avais pas besoin de cela. Je pouvais ignorer le bonheur. Mon cerveau pensais-je alors s'en trouverait mis à l'abri de la connerie habituelle, du bavardage insipide des gens heureux, de la niaiserie de la vie emplit de tous ces contentements ordinaires. Non, je n'étais pas snob. J'étais juste décidée à continuer à rêver. Ca n'était pas une chose si simple à expliquer. Cela n'allait pas de soi. Et il fallait beaucoup de prudence pour tenter de mettre sa vie en place de cette manière là. Fuir le bonheur de peur que ceci-cela, n'était pas vraiment mon credo. J'avais envie de considérer le bonheur comme une idiotie destinée à nous aider à supporter l'existence un peu comme la religion, la politique ou bien les glaces à la crème épaisses et riches en morceaux de noisettes. Quand on pensait à la peine que celles-ci pouvaient vous donner quand il fallait les ouvrir, et les décortiquer. On se disait vraiment que là se trouvait un luxe dont il ne fallait pas négliger l'existence. Et si l'existence humaine était parfois aussi pénible, il fallait bien reconnaitre que ces morceaux de noisettes lui redonnait un corps que ni la politique ni la religion et encore moins la notion de bonheur terrestre ne parviendraient jamais à égaler. A dire évidemment cela n'allait pas de soi et il aurait fallut beaucoup de mauvaise foi pour défendre un point de vue aussi dénué de fondement intellectuel...Seulement de mauvaise foi, je n'en manquais pas. D'autant que j'étais décidé à ne plus me laisser influencer par l'intelligence d'autrui...A cela, j'avais la ferme intention d'opposer autant de bêtise qu'il était possible d'en rassembler pour quelqu'un de sensé s'entends. Et finalement je m'aperçus que revendiquer ses erreurs et ses propres imbécillités n'était pas aussi difficile que cela. Il suffisait de regarder la moitié de l'humanité revendiquer les siennes d'erreurs, d'imbecillités, d'égoïsme forcené, de gémissements d'enfants gâtés et on trouvait assez rapidement la recette qui permettait d'avoir l'air sûr de soi-même en affirmant des énormités. Il suffisait de prendre l'air péremptoire, à la limite de jouer la colère quand d'aventure quelqu'un aurait osé tenter avancer une contradiction.... Je m'en sortais assez bien et surtout je riais beaucoup à part moi-même. Je prenais autant de plaisir à avoir inventé ce nouveau jeu que j'en avais à découvrir le croquant d'un morceau de noisette sous le moelleux d'une crème glacée. Foin de tout sérieux! Cet ennui profond finirait par trouver sa place dans ma vie en me faisant découvrir un principe fondamentale, celui de l'ironie... Et je mettrais des années je crois à oublier à quel point il fut drôle d'observer le quotidien avec cette lueur d'amusement au fond des yeux. Ecouter par exemple, les gémissements de gens auxquels l'existence avait tout donné avec le sourire et sans se départir d'un air compatissant de bon ton; en rajouter, en les plaignant ouvertement sans jamais cesser de penser à ceux d'entre nous qui au même moment et ailleurs, mourraient de faim dans le silence et l'indifférence générale ou encore à ceux qui étaient torturés ou tués en raison d'opinions politiques différentes... Regarder les photos de gens mutilés, les crânes explosés sur le sol ensoleillé à côté de nantis dont les existences étaient consacrées à se gémir dessus comme on se pisse dessus vers 80 ans. Et sourire....bien évidemment! Tout le monde se complaisait à dire : "on ne peut pas récupérer toute la misère du monde"... Bien sûr.... Moi je ne me lassais plus de sourire. Il y avait belle lurette qu'aucun de ses discours n'évoquait plus autrechose qu'un ennui profond, inaltérable dans sa durée, rassurant de profondeur, mais d'une noirceur jubilatoire.

     

  • Tu dis tout, mais tu ne dis rien.

    Tu dis tout, mais tu ne dis rien. C'est étrange, comment fais-tu? Elle le regardait gentiment. Vraiment elle ignorait quoi répondre. C'est impossible de répondre à une telle insulte, dis sur ce ton de serpent. La personne qui s'amusait à se foutre d'elle était un vieux machin pervers, un porte-couille, un vicieux du troisième âge, répugnant et infatué. Que dire à ce genre d'ignoble personnage? Pour s'amuser elle endossa un costume d'idiote et fit semblant d'être flattée. Un délice que celui d'imaginer ce vieillard en décomposition avancée se réjouir de sa feinte bêtise... Je commencais à m'amuser sérieusement. Ne jamais dire ce que l'on pense aux imbéciles, les flatter, les enduire d'erreurs, les égarer, les emmener en ballade.... S'en suivit un long baratin repris d'un texte de Sollers, "le portrait du joueur", agrémenté d'une historiette digne d'un voici-voilo de campagne! Croustillant. Le ton employé est celui de l'idiote du village qui se prend pour une intello. Le tout emballé par une regard et une mine de la plus pure innocence, directement tiré d'un roman du début du siècle : Bécassine t'emmène en voyage. Allez grimpe la dessus mon gros, tu verras p'têtre Monmairtre!!! Succulent, une vrai dessert de chef. Que veux-tu que je te dises moi? Je n'en sais rien. Enfin disons que j'essaie de ne pas écrire ce que je n'aimerais pas lire. Comment te dire....

    Je voudrais essayer de ne jamais montrer que je n'ai rien à dire. Ce n'est pas simple je te l'accorde. Mais enfin il faut beaucoup d'art et de prudence pour ne pas révéler aux yeux des lecteurs, l'immense gouffre sur lequel je tente d'écrire. Si jamais quelqu'un s'aperçoit de tout ce vide qui se trouve à l'arrière. L'affaire rate. Et le lecteur s'ennuie.

    D'un seul coup d'un seul, il décide d'aller faire ses courses au Pampion. Et là, vois-tu, c'est la fin de ton livre, la mort de ton texte, ta dissolution dans le supermarché dans le fond du caddy entre les poireaux et les choucroutes alsaciennes.

    Mon pauvre ami, je crois bien que si jamais quelqu'un s'apercevait de la supercherie. Les gens outrés d'avoir économisé tant de plaisirs pour l'achat de leurs livres iraient furieusement faire un grand feu de joie au milieu de la cour en hurlant au scandale, à la tromperie, au foutage de gueule et tutti quanti. Les auteurs déjà bien pâles se liquéfieraient de trouille, un peu à la manière d'un vampire en plein jour. Tu vois le tableau? Non, mieux vaut rester discret. Maquiller habilement toute cette inanité, bourrer cette vacuité de choses et d'autres.

    Tiens prends des photos, ça donnera un genre animé. Illustres, dessines des fleurs, des montagnes, je sais pas moi. Racontes leur ta vie. Comment tu baises et ce que tu manges. Publie tes trucs pour griller une place au supermarché, ce que tu penses de la vache folle, si tu l'as rencontré, comment tu es tombé amoureux d'elle et qui a décidé que votre union serait contre-nature. Je sais pas moi, inventes, baratines, racontes les histoires de cul de ta voisine. La grosse? Oui celle-là!

    Oh... mais non à la rigueur je préfères raconter mes aventures avec le voisin sourd.

    T'as un voisin sourd toi?

    Ben ouais. Il est pas très sympa, tu sais. Il bat sa femme mais le pire c'est que...mais bon tu ne me croiras jamais!

    Vas-y dit.

    Non.

    Mais quoi? Vas-y dis. Je vais pas te supplier quand même! Raconte!

     Elle est sourde et muette. Et le pire c'est qu'à chaque fois que j'appelle les flics, ils se foutent de ma gueule! Y'en a un qui m'a dit une fois mais vous savez c'est normal qu'ils....

    Qui?

    Les sourds tiens! Bon tu me laisses finir? Donc c'est normal qu'ils fassent du bruit, ils sont sourds et c'est leur manière de communiquer. 

    Oui ben ça va, la dame qui crie elle est muette! Vous entendez? Et dans l'escalier soudain une sorte de brame à mi-chemin entre le barrissement d'un éléphant et l'égorgement d'un marcassin. Silence gêné. Il est quatre heures du matin. Je suis exténué. Et en voyant l'oeil narquois des flics je me dis que je franchement à la campagne on a carrément pas de chance!

    Eh bien tu vois ça marche. C'est carrément intéressant ce que tu racontes. Tiens fais un roman à la Claude Zidi. Pour la rentrée littéraire je vois ça d'ici. Drame dans les foyers. Un sourd bat sa femme, muette, elle retrouve la parole.

    Euh....

    Bon je file dis, le supermarché va fermer. Y'a plus rien à bouffer ici. Allez courage! 

    ps: à celui qui se reconnaîtra certainement... Leçon numéro un : ne jamais prendre les autres pour des cons, ils le sont toujours un peu moins qu'on ne le pense.... Allez sans rancune vieux truc hein. J'irais certainement cracher sur ta tombe.