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L'amour des reflets.


 

 

 

 

 

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(Que se passe t-il pour ceux qui aiment les reflets? Qui aiment s'en nourrir?)

Lui est un reflet. Il est au temps présent le reflet d'un autre, au temps passé. Le regarder c'est se mirrer dans une image étrange... Au gré du courant, son visage se déforme. Il laisse entrevoir la patine de l'autre abimé par le temps, oublié, transformé, idéalisé, recomposé. Je fais pause un instant. Je me mets à réfléchir. Je ne regarde plus vraiment. Je vois autre chose; je vois autrement. Je baisse les paupières pour mieux saisir cette perspective. Avant. Arrière. Aller-retour. Toujours fuyant, tournant de l'oeil à chacune de mes avancées... Le fugitif tente à nouveau de se dérober. Mais je tiens, bien décidée à ne pas me faire avoir une autre fois. Un jour je me souviens, il s'était fait oublier. Habitué du jeu de la souris et du chat, il m'avait eu à l'usure. La pause était trop longue. Je m'étais endormie un instant. Il en avait profité pour s'éclipser. J'étais repartie dans mes pensées. Là c'est non! Je tiens. Il ne m'aura plus. Je le vois, le cherche, le trouve, ne le lâche plus. A ce jeu je me sais attendue, j'aiguise mon attention. Tranquillement je déroule ma pellicule. Il apparait enfin dans le champs. Et voilà je le savais. Il n'a pas résisté. Un. Et puis deux. Je suis là. Observant, attentive, le moindre de ses mouvements... Guettant le moment où il tenterait une échappée pour mieux triompher à part moi-même, tirant la langue au coquin de sort qui m'a faite si distraite et reprenant en main nos deux destins, inévitablement, immanquablement lié. Il joue de son charme, tente de m'envoyer promener. Je résiste. Je reste là. Je continue à observer. Il ne sait rien de tout cela. J'imagine qu'il peut difficilement comprendre ce que je fais en le regardant. D'ailleurs il doit s'étonner de ces longs regards fixes... qu'il me rend pourtant. Je continue à fixer mon attention sur lui. Rien ne m'échappe, de la tension soudaine des traits de son visage au relâchement suivant, rien ne s'échappe de mon regard. Il y a que je ne sais pas faire autrechose que rêver en le regardant et je veux comprendre. Je suis fascinée et je veux savoir ce qui déclenche ce processus. Je suis entièrement absorbée par sa présence. Le moindre changement de lumière, la plus petite parcelle de silence est retournée, interrogée, decrite. Je veux comprendre. Je veux savoir. Mon  corps est devenu un grand livre sur lequel j'écris. Je note mes observations. Les sensations qui naissent sont mes canevas. Chaque fil se tend, la toile est nouée par l'émotion, par les tensions aussi. L'atmosphère s'électrise au moindre contact. J'écoute, je respire, j'entends, je fixe lentement toutes ces sensations à l'aide du vernis de la mémoire. Je ne me refère plus à ce qui se passe autour de moi, mais seulement à ce qui se passe à l'intérieur. Comment ce type d'apparence banale, au visage peu gracieux, à la démarche lourde, peut susciter autant d'interrogations? Comment puis-je me laisser fasciner sans réagir de manière éfficace à ce piratage? Mon esprit est détourné, la matière disparait sous la lumière diffuse d'un spectacle hors du commun, le mélange des images. Ce que je vois n'est plus ou en tout cas tend à être remplacé par ce qui fût. Et ce qui fût m'obsède. Invariablement, il m'arrive de ne plus répondre à rien. Tant cette image est envahissante, car la présence mêlée du  souvenir et celle de la vie (lui tout prés)  à laquelle je ne participe plus vraiment est bouleversante. C'est ce qui je crois me fascine le plus, en dehors de la personne qui déclenche cette sorte de mécanisme étrange, ce voyage intérieur. Cette lente exploration du tissu mémoire, cette lente immersion dans l'invisible. Les fils se tendent avec une odeur, un geste, un mouvement, un son, une musique. De petites aspérités en éclats de lumière ressurgissent des millions d'informations... se recompose le souvenir en surimpression. Illusion de ne plus être là. Trop envahit par ces sensations pour être présente, parmi les autres. Décallage systématique contre lequel il faut lutter, avec lequel il faut surtout composer. Qui donne matière à écrire en notes mal rédigées, toutes ces impressions dont nous ne sommes pas maître et qui nous fascinent par leur richesse et leur abondance.

 

Mais je suis la seule à savoir et à comprendre que cette alchimie qui nous lie, est la corde qui nous étranglera bientôt. Car nous ne sommes pas ce que je vois, ni ce que je ressens, même s'il me plaît de le raconter avec ce ton. La réalité ressemble à un vieux film en noir et blanc. Son regard n'est autre que froid, et mon corps n'est qu'une croix de chair clouée à son désir. Pauvre papillon au regard flou, aux mouvements rapides et fluides. Je sais ce que je vois dans son regard. Et ce n'est pas une chose qui fait envie.

 

Il faut bien l'avouer, toutes ces années je cultiverais un jardin emplit de plantes vénéneuses.

 

 

 

 

 


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