Peut-être la marée montante est-elle d'abord affaire de langage : celui d'un grand arbre assailli par accès d'un vent rocailleux qui s'y rebrousse, s'y enfonce et ne trouve plus d'issue que par une infinité d'interstices sinueux....
Car ce n'est pas assez, semble t-il, de l'indistinction des formes et des couleurs : s'y ajoute un embrouillamini de sons, d'écorces mates de vocables, nés de la vibration de lèvres à foison_ et l'objet moins d'une profération que de dégorgements réguliers.
Si intarissable est l'étendue, que l'on évoque ceux qui s'embarassent en leur propos tant ils ont à dire dans l'urgence. Et sans doute prête t-on surtout l'oreille aux grands écarts de langage des vagues proches, à leur jaillisements incontrôlés où paroles blanches et sons détimbrés s'adressent si bien aux tempes; mais au-delà, et jusqu'à l'horizon s'étend une aire balbutiante_ un prodigieux champs de phonèmes!_ où l'on voit tout un discours tenter en vain de prendre forme, tant la contradiction lui est inhérente.
Ces paroles de craies humide broyée qui surgissent au bord, on les dirait nourries, portées, déléguées par la foule, là-bas des sons en creux. Comme tirées des limbes du langage, sont-elles de délivrance, ou bien, formées par agglutination au pied du versant, d'excrétion? Qui pourrait affirmer que la mer n'essaie pas, désespérément, de s'inscrire dans l'Histoire et qu'elle aurait donc à relater!...A moins qu'elle n'expulse depuis l'origine, la suprême impureté de la langue.
Extrait de "Marées". François Solesmes. Edition : encre marine 2002.