Je lisais un texte sur la Seine et j'étais en train de rêver à
ce que les courbes sinueuses de son trajet dans la terre
avaient inspiré aux poètes quand je me suis souvenue que
Paul Celan avait mis fin à ses jours en sautant dedans un
soir d'hiver. Je pensais à la douceur d'une main amie, aux
sourires qui font échapper à tout ce que le travail d'un
artiste a de dérangeant et qui provoque des remous et des
troubles à l'âme.
Puis j'ai pensé à la chanson de Brassens "Chanson pour l'auvergnat", aux ballades dans
une des forêts du Vercors, à l'ami qui m'expliquait comment à travers les sentiers les
compagnons de la libération circulaient. La nuit était entière. Pas de lune. Aucun
éclairage. Pendant qu'il parlait j'entendais nos souliers de marche racler le sol caillouteux,
sa main nerveuse dans la mienne, la froideur du vent autour, la respiration retenue,
le silence. En relevant les yeux pour scruter les étoiles je m'aperçus qu'elles étaient
absentes. Me retournant en pensée je me souvins des tourbillons de l'eau saumâtre de la
Seine lorsqu'un jour attendant un rendez vous je m'attardais sur le Pont Notre Dame.
J'avais noté la couleur jaune et grise en me disant que ces tourbillons à la surface
ressemblaient aux tourbillons que l'on voit parfois dans certains tableaux de Van Gogh,
dans le ciel de la nuit justement.
Van Gogh savait-il qu'à la surface des étoiles des tourbillons (que l'on peut voir
aujourd'hui grâce aux photographies de l'espace) provenant de gaz en fusion
se forment et ressemblent étrangement aux tourbillons par lesquels ils tentaient peut-
être en les dessinant à la place d'une étoile fixe de représenter une sorte de remou de
l'âme, comme une folie? Le savait-il? Le pressentait-il?
Etrange comme les correspondances de formes à travers le temps nous apparaissent
parfois comme délivrant du sens où en tout cas de l'émotion.
Certains sentiments vous tuent, d'autres vous réchauffent.
Entre deux l'indéfini, le flou qui vous ravit et vous repose quelques instants... comme ces
tourbillons dans l'eau ou bien ces scintillements d'étoiles au loin. Rien de trés important,
ni de très grave, juste quelques instants arrachés au temps qui passe comme la Seine qui
coule et emporte avec elle jusqu'à son propre souvenir.
Peut-être finalement le plus important de nos existences circule t-il entre nos mots,
entre nos phrases dans les silences qui ponctuent nos respirations, entre deux
mouvements, deux villes ; entre un avant et un après idéalisé, le visage imaginaire
du futur que l'on dessine par avance où l'on trouve encore des traces du passé mais qui
devient par la force d'une phrase, d'un mot, d'un accord trouvé le présent auquel il sera
toujours temps d'imprimer toutes les sinuosités que l'on souhaite.