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Notes - Page 31

  • Année.

     

     

    "Le coeur je suis sûre est le seul endroit où la pensée refugiée survivra."

     

    Mes plus sincères voeux à mes doux lecteurs.

     

    Votre présence, régulière, attentive, et bienveillante suffit à mon bonheur.

    Merci à toutes et tous.

    Et pour garder à coeur et à corps présents ces mots bienfaisants d'un homme que nous pouvons tous être fiers de ne jamais oublier :

     

    "Le rôle de l’écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Ou, sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie avec leurs millions d’hommes ne l’enlèveront pas à la solitude, même et surtout s’il consent à prendre leur pas. Mais le silence d’un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l’autre bout du monde, suffit à retirer l’écrivain de l’exil, chaque fois, du moins, qu’il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence et à le faire retentir par les moyens de l’art."

     

    La suite Ici

     

    Ce que dit Sartre de Camus:

     

    (…) Il représentait en ce siècle, et contre l’Histoire, l’héritier actuel de cette longue lignée de moralistes dont les œuvres constituent peut-être ce qu’il y a de plus original dans les lettres françaisesSon humanisme têtu, étroit et pur, austère et sensuel, livrait un combat douteux contre les événements massifs et difformes de ce tempsMais inversement, par l’opiniâtreté de ses refus, il réaffirmait, au cœur de notre époque, contre les machiavélismes, contre le veau d’or du réalisme, l’existence du fait moral.

    Il était pour ainsi dire cette inébranlable affirmationPour peu qu’on lût ou qu’on réfléchît, on se heurtait aux valeurs humaines qu’il gardait dans son poing serréil mettait l’acte politique en question.

     

     

  • Aucune armée n'est invicible.

    "L'histoire a montré qu'il n'y a pas d'armée invicible"

    Staline

    (joseph)

  • Carte postale.

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    Derrière les jalousies, la lune observe, imperturbable le sommeil d'une femme. Les rues sont désertes. Le vent joue dans les couloirs de la ville ancienne. Le silence règne. De ma fenêtre entrebaillée, je peux l'apercevoir endormie. Je l'ai croisée ce matin, dans la rue. Nous marchions chacun vers nos domiciles respectifs.

    Les jalousies de sa fenêtre sont blanches. La nuit lorsque le sommeil me fuit, je l'observe. Sa fenêtre reste entrebaillée. Il fait chaud ici. La lune cette nuit est rose. D'un rose élégant, à peine dilué par l'obscurité. Le lumière diffuse forme un halo pâle dans l'air qui sépare nos deux fenêtres. Je me perds dans l'observation de sa main qui dépasse des draps. Elle a l'air sereine cette main. Je l'imagine dans le creux de la mienne, toute de chaleur repliée, les doigts serrés au creux de ma paume.

    J'avais déjà remarqué sa démarche, sa légèreté. Je la croise souvent depuis que j'ai emménagé dans cette rue. Elle m'a toujours semblé porter sur le visage les traces d'une douleur ancienne. Elle ne sourit pas. Enfin trés rarement, une fois seulement, son sourire a rencontré le mien. Son balcon est couvert de fleurs, elles tombent au sol, effleurent le mur : un rêve de femme, ces fleurs, en lianes colorées, libres au vent.

    J'aime cette rue étroite du centre ville. Les murs hauts s'élèvent vers le ciel immense, les pavés au sol rappellent les jours anciens où calèches et voitures à bras étaient les seuls moyens de se déplacer. Mes ballades dans les rues qui serpentent m'entraînent souvent loin de chez moi. Je découvre des quantités de recoins superbes, envahis d'herbes folles, de graminés, de coquelicots. Il m'arrive souvent de regretter de ne pouvoir peindre ou dessiner ces endroits. J'aimerais en garder le souvenir quand sous la pluie je désespère du soleil.

    Les ruelles étroites, le passage du temps sur la pierre, les dégradés de gris et de verts, les mousses, les lichens, tout ce qui s'accroche et germe dans les interstices, dans les failles des blocs de pierres, l'odeur de la craie, de l'humidité, des moisissures, ces petites fleurs blanches qu'au printemps les longues tiges sèches portent malgré le vent. Petites têtes blanches et fines qui attirent constamment mon regard, me rappellant la longue file des communiantes dans les allées étroites des églises d'autrefois. Il y aurait tant à écrire, tant à dire au sujet de ces quartiers que l'on découvre ainsi.

    En relevant la tête, je m'aperçus que les persiennes avaient été repoussées derrière les rangées de plantations posées sur le balconnet de son appartement. Elle était certainement absente. Il y avait sur le sol un petit arrosoir de zinc, un foulard était sagement plié sur le dessus. J'entrais chez moi. De ma fenêtre, je photographiais son balcon désert, les objets au sol et un morceau de pot ocre.

    Cette femme me rendait nostalgique. En préparant le thé, je glissais un cd de Coltrane dans la chaine hi-fi. L'odeur de la menthe mise à infuser emplit bientôt la pièce. "Love supreme" et la couleur du foulard s'accordaient à merveille. Je me mis à rêver d'elle dans un champs de graminés, portant un grand chapeau de paille...quelques secondes aprés je m'endormais.

    Je ne savais plus trés bien où j'étais lorsque je me réveillais quelques heures plus tard. L'aiguille de l'horloge indiquait neuf heures du soir, était-il si tard? Je jetais un oeil du côté de sa fenêtre. Elle regardait la télévision, les reflets bleus dans son salon l'indiquait.

    J'avais envie d'elle...J'aurais donné beaucoup pour me retrouver assis à ses côtés à ce moment. Mes cinquante ans me pesaient soudain. Je pris une décision qui m'apparut comme salvatrice à cette heure. Je n'avais aucun cours demain, je pouvais me permettre d'aller trainer au bar ce soir.

    Le café d'en bas, au coin de la rue, avec ces murs couverts de vieilles photographies de famille, m'attirait. On pouvait tranquillement descendre ses verres de rouge sans que quiconque ne vienne déranger l'entreprise d'enivrement en cours. Picoler sans ennui, ça c'était bien un rêve de poivrot français! "Ah le petit vin blanc...". Mais moi c'était le rouge qui me tenait, le gros rouge amer et aigre, celui qui filait des ulcères à mon médecin et à mon estomac en passant.

    Il valait mieux que je rentre seul ce soir, j'aurais eu honte d'infliger une telle haleine à une femme et surtout pas à celle que je passais le plus clair de mon temps libre à observer de ma fenêtre. Un seul de ses regards désappobateurs m'aurait cloué sur place, mieux valait être discret en rentrant ce soir, histoire de ne pas provoquer le destin...

    La patronne du bouge s'appelait Sandrine. Elle était vieille et ratatinée. Je me demandais toujours comment son crétin d'époux faisait pour lui monter dessus. Le pire je crois c'était la couleur noir corbeau de ses cheveux qui on pouvait se douter était gras et courts. Son nez était si pointu qu'on aurait pu facilement lui attribuer une parentée directe avec un pivert. Mais Woody le pivert était cent fois plus drôle qu'elle et quand je la voyais descendre son verre de rouge, j'avais trés largement envie de vomir en me disant que ses pellicules avaient pu tomber dans le mien, de verre! Finalement j'allais mieux, en pensant ces horreurs je me disais que la déprim' était dans mon dos et je me retournais en pensée pour la saluer. Ah Sandrine! Sandrine...: "si vous aviez pu lire dans mon sourire mielleux tout le fiel que mon cerveau venait y déverser....Ca vous aurez cloué le bec et vous l'auriez fermé pour un petit moment votre boîte à canigou"!

    Son cloporte de mari se prénommait Philippe, il avait l'air aussi intelligent et éveillé qu'un troupeau de veau à l'heure de l'abreuvoir! Le toutou jappait sagement chaque fois que "bobonne" poussait une gueulante. Le torchon sur l'épaule il arrivait en trainant son gras avec lui! Ce que je préférais de lui c'était les auréoles de sueur qui accompagnaient chacun de ses mouvements d'une étrange odeur de poubelle croupiCharmant couple que je regardais aller et venir avec autant de gentillesse dans le regard qu'un "umpiste" faisant l'inspection d'une banlieue un jour d'émeute.

    Ca me passait les nerfs que voulez vous! J'étais seul, vieux, con et j'adorais cela. Ma connerie, ma méchanceté et moi on s'éclatait finalement. La vieillesse c'est carrément plus drôle avec la pointe d'acidité que donne l'amertume. Eh oui, faut vous dire vous les minots, c'est qu'à mon époque on se marrait pas des masses! C'était voire moins que rigolo la jeunesse des vieux d'aujourd'hui. Carrément pénible! Pour baiser on devait jouer à cache-cache avec la milice des parents, fumer c'était à peine toléré, boire c'était pire que tout! Et les joints je vous dis même pas ce que ça pouvait donner, genre carrément la désintox chez les dingues, directement! Fallait s'accrocher pour supporter tous ces vieux croupions qui vous pourrissaient allègrement la vie, en ayant en plus l'air d'aimer cela : fallait voir l'ironie dans leurs yeux! Et leurs petits sourires malins...genre t'avait une de ces envies de leur mettre ton poing dans la gueule!

    Alors évidemment avec le temps je suis devenu carrément con, c'est surtout mes pensées qui le sont, en règle générale, je ne montre rien. J'écris mais je ne dis plus rien, parce qu'en fait m'entendre ne m'intéresse pas énormément. Et il faudrait haïr le monde entier pour avoir envie d'infliger cela à qui que ce soit!

    Toujours est-il que je passais la soirée à reluquer le couple d'infâmes tenanciers de bistrot qui me servait, la pompe à rouge à la main, après chacune de mes interventions discrètes. Evidemment je descendais le litron le petit doigt en l'air.

    Je pourrissais de l'intérieur avec une certaine grâce je dois dire.

    La Sandrine avec sa coupe militaire et ses lèvres ridées, pincées comme le cul d'un cog, me regardait souvent avec une sorte  d'incompréhension étrange. Je voyais bien qu'elle ne comprenait pas grand-chose à ma présence dans son bouge. Ca m'amusait de lui sourire avec gentillesse à ce moment là. J'imaginais son cerveau embrumé essayant de compter pingrement le nombre de verres avalés. Ca faisait 1+1+1=? dans ses yeux et je me retenais de lui proposer une calculatrice....Cela eût pu être drôle me soufflait mon démon intérieur, mais finalement je préférais attarder mes pensées sur le velouté de la main recroquevillée qui dormait à quelques mètres seulement de moi.

    Il valait mieux reprendre mes rêveries d'étudiants boutonneux plutôt que de continuer à tenter d'humilier cette pauvre femme dont évidemment les seins qui pendaient sur le gras d'un bourrelet de ventre m'inspiraient beaucoup plus de pitié, que de haine finissais-je par me dire avec une telle mansuétude que j'en aurais presque eu les larmes aux yeux devant tant de bonté.

    Oui la mansuétude et la pitié faisait partie de mon éducation et j'avais beau m'entraîner à être différent, je n'arrivais jamais vraiment à m'éloigner de ces restes d'éducation bien-pensante. Ca rattrapait ma méchanceté naturelle me disais-je vaguement. Quoique quand ça me prenait, je n'étais pas vraiment très fier de moi. Mais bon, en entendant les histoires ignobles qui arrivaient un peu partout je ne devais pas être pire que les autres. Toujours est-il qu'en rentrant vachement bourré, titubant, ahanant comme une grosse barrique, je regardais désabusé au-dessus de ma tête les persiennes de la belle plongée dans le sommeil. J'avais l'air hagard de l'animal en rut qui sait que la femelle est dans le coin.

    La rue était absolument déserte. Les rues avoisinantes aussi. J'étouffais dans la nuit épaisse.

    Avec l'alcool j'avais crû pouvoir échapper un instant à la grâce de cette main blanche dans le reflet de la lune, mais en fait, c'était pire. La main revenait avec une présence extrêmement gênante comme si elle avait envahi une partie de mon cerveau. J'avais mal. Mon coeur se soulevait et se serrait douloureusement à chaque respiration. Comment faire autrement? Quelles pensées invoquer pour sortir de l'impasse où le désir me collait avec la violence d'un vent sec. Je tentais d'imaginer ce que je pouvais faire pour approcher la jeune femme en question. Ma vieillesse m'insupportait à nouveau. A croire que je puais la mort alors que mes yeux voyaient encore, que mon coeur battait avec la régularité d'un tic tac de réveil-matin et que mes pieds finiraient par me conduire invariablement vers le lit que j'entrevoyais dans l'angle de ma chambre.

    Comment échapper à cet enfer de solitude, de silence et de mort annoncée? En rentrant je me posais lourdement sur un des fauteuils, l'oeil vitreux. La sueur coulait de mon visage. J'étais gras. Je le savais. j'ouvrais un des placards et finalement me dis-je tant qu'à toucher le fond autant trouver un compagnon de jeu un peu classe : la bouteille de whisky avec les dorures sur l'étiquette me rendit à l'humeur joyeuse.

    Oui elle était vraiment belle cette femme et même si je n'avais aucune chance de vivre quoi que ce soit avec elle. J'allais peut-être juste pouvoir continuer à l'observer, à la rêver, à la désirer. Le désir est un chien galeux. Il te traîne comme un bourreau contre les barreaux de ta prison de chair. Rien! Il ne t'épargne rien de toutes ces donzelles énervées qui filent dans les rues, dans les magasins avec leurs jupettes flottant au vent, leurs cheveux longs et dénoués, leurs gorges nues, leurs corsages inexistants et leurs bras qui semblent si doux dans la lumière de l'après-midi, l'été. Et moi cette nuit là je  me sentais tellement vieux et usé, fatigué par toutes ces années de désirs inassouvis, de fantasmes inavoués, de combats contre les tentations de l'existence. Vieux d'avoir vécu si sagement, si tranquillement même quand ce fichu désir me tenait éveillé comme cette nuit, les pensées vagabondes, le corps presque mort d'être si reposé mais les yeux légèrement humides, posés sur l'espace entre nos deux fenêtres, dilués par l'air légèrement rosé de la pleine lune, de cette nuit étrange, divaguant au rythme nonchalant des fleurs et des branches lourdes qui trainaient contre le mur d'en face. Vieux si vieux que lorsque je tombais dans le sommeil j'eus la curieuse impression que j'étais en train de partir pour de vrai. Un sac en chute libre, voici les derniers mots que j'eus le temps de formuler avant l'inconscience!

    Le lendemain et les jours suivants, je décidais de reprendre ma vie tranquillement. La routine, les cours du lycée, la fréquentation de mes collègues, l'ambiance potache de la salle des profs me permirent d'établir une distance raisonnable avec mes fantasmes. Une de mes amies professeur de français me fît tout de même remarquer ma nouvelle gaîeté, une sorte de légèreté qu'elle ne me connaissais pas. Je souriais sans répondre avant de m'étonner pour alimenter la conversation mais sans entrer dans les détails. Elle chercha un moment à obtenir des renseignements un peu croustillant mais je gardais le cap. Elyzabeth était brune. Je l'avais déjà photographié, sa peau me plaisait. Elle portait souvent des vêtements rouges. J'aimais bien le genre de contraste qui s'établissait entre la blancheur de sa peau, le noir de ses cheveux et le rouge de ses tenues. Elle accordait son rouge à lèvres avec mes goûts sans le savoir : le rouge de Chanel!

    Ma première femme le portait, je lui offrais à ses anniversaires et cela à de très nombreuses reprises puisque nous fûmes mariés plus de quinze ans. J'aimais entrer dans la parfumerie en prenant l'air confit du mari qui ne sait pas encore quel va être son achat. J'attendais qu'une jeune femme s'apprôchat et le sourire en coin je la dirigeais lentement vers le rayon où je savais que le rouge à lèvre ne manquerait pas d'être présenté.

    Lydia fût la première, puis Cathia, Sandra suivit, entre temps j'oubliais les prénoms. Je me souvenais seulement de la douceur de leurs cheveux, de l'odeur de leur nuque fraîche, du satiné de leur dessous et de l'addiction que je ressentais. Chaque année à la même période j'avais une aventure dans ces conditions. J'étais fier de pouvoir fêter l'anniversaire de ma femme de cette manière, déshabillant, reniflant, ravissant de jeunes grâces qui n'avaient aucune chance de me retenir entre leurs jambes souples. Je n'aimais plus ma femme, je le sentais. Je dus finir par en convenir devant un notaire mais en attendant et durant toutes ces années je consommais de la jeunesse. J'écartais les cuisses et je fourrais ces jeunes grues avec un cynisme non dissimulé; leur naïveté me permettait de le faire sans craindre d'être découvert. Au souvenir de ces années et en regardant la bouche délicate d'Elyzabeth s'ouvrir et se fermer, je revoyais leurs mains aux ongles peints en train de déballer le Rouge que je ne manquais pas d'acheter en double afin de leur offrir, au moment de la rencontre furtive. Plus tard, j'offrirai le même à ma femme en souriant benoîtement.

    "Bon anniversaire ma chérie!"

    D'aucun s'étonnerait d'une telle perversité mais ma femme ne réagissait pas vraiment. A croire que le corps étranger qui partageait ma vie avait décidé d'abandonner toute vélléité d'exister à notre mariage. Elle se fondait dans notre décor, allait et venait avec la régularité d'un mécanisme horloger, accouchant, se relevant, élevant, dirigeant notre petite communauté en semblant ignorer le monde dès qu'il dépassait la clotûre de notre jardinet.

    Lorsque nous étions jeunes j'avais crû un instant que ma femme serait l'alter ego dont je manquais cruellement. Fils unique d'un couple soudé je m'étais toujours senti exclu de la vie de mes parents. Et dés que je pus sortir de la cellule familliale dont je m'échappais plus comme un gaz contenu depuis trop longtemps dans une bouteille, que comme un jeune homme prêt à assumer sa vie, je ne me fis pas prier. Je leur dit aurevoir sur le pas de la porte de la boutique avec l'air important et un peu compassé que donne la jeunesse aux visages qui prennent conscience de leurs devoirs futurs mais qui craignent encore l'événement de dernière minute qui pourrait faire échouer leur évasion et ne les revit qu'à de très rares occasions, fuyant leur présence comme on fuit les cimetières ou les chats noirs.

    Quelques temps après je rencontrais Marianne, en faculté où nous étions tous les deux et où nos destins finirent par se croiser puis par s'entrelacer de manière plutôt lascive.

    Assez peu au fait des techniques de contraceptions, il me fallut un petit temps tout de même pour accepter l'idée qu'une partie de jambe en l'air pouvait produire ce poupon auquel je n'eus d'autre choix que d'accoler mon nom à la mairie de notre ville d'alors.

    Trêve de souvenir! J'étais en ce moment même occupé à détailler la sublime bouche maquillée de Chanel de ma collègue de travail. Certes j'ai de très bons souvenirs de ces années passées entre ma femme, mes enfants, et le collège où j'étais professeur de Français mais on ne peut tout de même pas dire ni penser et encore moins écrire qu'il y aurait là de quoi rédiger un roman. Non. Vraiment pas. L'ennui que je ressentais parfois était si grand que le sommeil ne tardait jamais à m'emporter le soir. Oui je m'ennuyais. Sereinement, mais tout de même.

    J'imagine ne pas être le seul à avoir ressenti cette sorte de léthargie que la vie quotidienne peut produire sur les plus vifs sujets mais nous devons être assez peu nombreux à avoir décidé de mettre fin à cette tranquillité apparente. Je connais trop bien la lâcheté et la médiocrité des hommes de ma génération. Pleutres abrités par les conventions, repliés derrière le paravent des bons sentiments, des habitudes, peu enclin à prendre des risques pour ce qui concerne leurs vies personnelles, ces forts en gueule seraient bien incapable d'assumer un peu de solitude, un brin de vertige face au vide de leurs pensées certainement.

    Des années après ma séparation et cela malgré les soirs de blues et la présence de l'alcool dans ma vie je sais encore que j'ai eu raison de mettre un terme à notre vie commune. Avec le temps j'ai tout de même compris que je n'ai jamais su aimer, non par franche méchanceté mais parce que je pense que personne ne m'ayant montré cette voie je n'ai naturellement pas eu à la suivre.

     

    Vous pleurez?

    Elle traverse la rue, très vite. Ses jambes filiformes battent les pans d'une jupe de laine grise. La pluie qui s'est arrêtée de tomber a laissé des trainées humides sur l'imper gris plus clair qu'elle porte ouvert malgré le vent. Les murs de la ville habituellement roses sont devenus presque rouges. Le ciel épais au-dessus de la garonne se confond avec la couleur du fleuve.

    Je suis près du parapet et je pleure. Je pleure. L'homme qui me parle est un sans abri qui me regarde depuis un moment.Quand je l'ai vue devant moi j'ai eu envie de courir vers elle, mais la vitesse de ses pas m'a dissuadé. Je ne m'attarde pas. Je fuis la conversation de l'homme qui m'a interrogé auquel je n'ai rien répondu.

    Un autre jour je lui aurais parlé mais ce jour-là je n'ai pas pu.

    Les semaines suivantes, j'évitais de croiser cette femme dans la rue que nous partagions. J'arrêtais de rêver et j'évitais même de regarder par la fenêtre.
    Les rêveries dans lesquelles je m'étais laissés entraîner auraient eu raison de ma bonne humeur. Les larmes impossibles à contenir de la dernière fois où je la vis m'avait alertées. J'appelais mon "psy" et il me conseilla d'arrêter de me faire des films en noir et blanc à la mode jeux interdits avant de déclencher une violente dépression. Je suivais ces conseils à la lettre et repris ma vie quotidienne sans plus m'attarder. Une jolie collègue provenant de l'Est m'aida à reprendre pied dans mon existence.
    Dora me redonna le sourire un peu carnassier de mes jeunes années. Je repris peu à peu goût à la vie. Nous sortions et je profitais de la fierté de pouvoir promener à mon bras une femme aussi vivante et belle qu'elle. Les mois qui précédèrent notre rencontre s'estompèrent à mesure que j'entrais avec plaisir dans cette relation.

    Durant un an environ je ne fis plus très attention à la présence de la voisine, elle ne m'attirait plus autant et je la croisais bientôt sans aucune appréhension. Mais j'avais conservé les photographies que j'avais pris de son balcon, je les regardais quelquefois en me rappellant à quel point ce coup de foudre avait fait des ravages dans ma vie : quelle étrange façon ont parfois les sentiments de vous envahir, comme une marée impétueuse, bouleversant votre vie, mettant à sac vos humeurs, pillant votre tranquillité avec la hardiesse d'un hussard en proie à la volonté de conquérir, retroussant vos souvenirs, faisant tinter à travers le temps toutes les clochettes du désir, rappelant les anciennes frustrations en dissimulant tant bien que mal une volonté féroce de dominer et de consommer outrageusement le corps qui sucite ce si grand désordre de sens, et d'émotions!