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  • Larmes.

    Amour céleste! et tendre! si je venais

    A t'oublier, et vous fatidiques îles,

    ô vous qui n'êtes plus que cendre

    Sur votre feu, dévastées, désertes,

    Iles aimées, prunelles du monde merveilleux,

    Je n'ai plus désormais à chérir que vous,

    Rivages où l'amour expie, mais face

    Aux seuls dieux du ciel, son îdolatrie.

    Car certains jours les saints s'y sont faits,

    Et les héros farouches, de la beauté les trop

    Dévots servants, et s'y dressaient

    Les arbres nombreux, et bien en vue les cités,

    Pareilles à un homme dans ses pensées;

    Mais les héros sont morts à présent, défigurées

    Les Iles de l'amour. C'est sa loi,

    Fol est l'amour dans le monde et dupé.

    Vous molles larmes, n'éteignez point pourtant

    Un reste de clarté dans mes yeux; laissez

    Un souvenir, que noble soit ma mort,

    O trompeuses, voleuses, me survivre. 

    HÖLDERLIN_

    ODES,ELEGIES,HYMNES

    NRF: poésie/GALLIMARD 

    1993 

    NB:

    "Les larmes sont.  Les larmes vont. Où de beautés en désespoir, voguent nos coeurs enlacés."  

    4/4/8  Exit Music. Radiohead. 

  • Chiron

    Ou es-tu, source de mes pensées? toi qui toujours

    T'éloignes quand le veut l'heure, où es-tu lumière?

    Mon coeur ne dort, mais la nuit acharnée,

    La nuit toujours me tient captif de ses prodiges.

    Moi qui jadis allais quêter les simples dans les bois,

    épier

    La tendre proie au flanc de la colline, jamais déçu,

    Jamais trompé, même une fois, par tes oiseaux,

    Car tu venais, presque trop empressée,

    Quand poulain ou jardin te versait jouvence,

    Pourtant conseil, quand au coeur; où es-tu, lumière?

    Mon coeur ne dort pas plus, mais la nuit sans

    coeur

    N'a pas cessé, la violente, de m'entraîner.

    C'était bien moi. Et la terre, de thym, de crocus

    Et de blé me donnait son premier bouquet.

    Et j'apprenais à la fraîcheur des étoiles,

    Mais le dicible seul. Et à mes côtés.

    Désenchentant les terres tristes et sauvages,

    Marchait le demi-dieu valet de Zeus, l'homme

    droit;

    Or me voilà pour passer d'heure

    En heure seul et coi, et ma pensée

    Se forme de terre fraîche et de nuées d'amour,

    A cause de ce poison entre nous, des visions;

    Et je tends l'oreille au loin pour y guetter

    Si un ami peut-être, un sauveur ne me vient.

    Souvent alors j'entends son char quand à midi

    Le dieu tonnant s'approche, entre tous famillier,

    Que la demeure tremble et sous lui que le sol

    Se purifie, que mon tourment se fait écho.

    Et je l'entends la nuit, le sauveur, je l'entends

    Porter la mort, le Libérateur, et tout en bas

    Sous l'herbe luxuriante comme en visions,

    Je regarde la terre, incendie violent;

    Et changent pourtant les jours, et il vous vient

    A les observer, fastes et néfastes, une douleur,

    A être ainsi de forme double, et le mieux,

    Il n'est personne qui le connaisse en rien;

    Mais là est l'aiguillon du dieu; nul sans lui

    Ne saurait aimer l'injustice divine.

    Mais dés lors il est ici chez lui, le dieu,

    Présent parmi nous, et transformée, la terre.

    Jour ô jour! Vous voici qui respirez enfin, qui buvez,

    O saules de mes ruisseaux! la lumière d'un regard,

    Et droit s'ouvrent les voies, et vous

    m'apparaissez,

    En souverain, toi, les éperons mis, et à toi-même

    Ton lieu, astre errant du jour,

    Toi, ô Terre, berceau de paix, et toi

    Maison de mes pères qui s'en allaient, incivils,

    Dans les nuées de bêtes sauvages, courir.

    Prends un cheval maintenant, ceins ta cuirasse et prends

    Ta lance légère, mon enfant! La prophétie

    Ne sera pas déchirée, ni vaine l'attente

    Jusqu'à le voir enfin, le retour d'Héraclès. 

    HÖLDERLIN_ODES, ELEGIES,HYMNES/ NRF: POESIE/ GALLIMARD 1993 

  • Mystique.

    MYSTIQUE

    Livre I                                                                           X

    Dans ce monde où rien n'est expliqué, on peut être sûr que ce qu'il y a de moins rare, c'est bien le mystère. Si pour être nés après lui, nous le trouvons naturel, il n'est que de recréer en nous l'instant de notre naissance pour donner à la fraîcheur l'arrière-plan d'ombre sur lequel elle est découpée. Rien n'amuse et n'égaie autant un homme que de voir un être enfoncé à son insu dans la situation à laquelle il est lui-même insensible. Sans s'apercevoir qu'il va être encorné, un homme rit de voir un de ses semblables poursuivis par un taureau.

    Le mystère doit être touché d'une main très légère.                                     

                                                                                        XI

    J'ai vu des bourgeois exiger de leurs fils qu'ils leur ressemblent et manifester ainsi que de les mettre au monde était une action aussi importante que, pour leur vanité provinciale, d'aller chez le photographe.               

                                                                                        XII

    La nudité n'a pas de sexe, les larmes non plus, la transparence est l'âme de ce qui appartient à la vie sans passer par la différence des corps.                                   

                                                                                       XIII

    La vie a des millions d'aspects et des ressources inépuisables. La beauté des choses est forgée dans l'attention que nous lui portons et ce que j'écris même vaut davantage par son accent que par son contenu. Aussi faut-il distinguer avec soin de la beauté ce qui n'en est que le signe, comme dans une forme de marbre où notre regard se dépouille de tout ce qui voilerait sa nudité.                                   

                                                                                       XIV

    Le bonheur est passé très haut dans la brume, comme un oiseau dont on ne voit que l'ombre, et, dans les feuilles agitées, la fuite. Je venais de penser, en lisant le journal d'André Gide, que la partie apparente d'un sentiment ne tenait pas à la vie morale; et qu'elle en était à peine la faveur, avec ses larges fonds issus de l'état physique, quand, à peine averti que mon être spirituel était difficile à saisir et qu'il se tenait dans un monde où le temps s'écoule plus lentement, débarrassé soudain des soucis que la première heure venue peut résoudre, j'ai senti qu'à la même place, demain, je me tiendrais, la plume à la main, seul et sans contrainte à redouter; et cette paix infinie a aussitôt voilé les préoccupations les plus tenaces, comme si ce qui doit être le plus durable nous occupait avec le plus de ténacité et qu'il fût prêt à vivre à notre place. La tentation me venait d'emplir mon moi avec une passion capable de durer plus que lui.                          

                                                                                      XV

    Je découvre mon oeuvre à l'âge où certains hommes considèrent qu'ils ont écrit la leur. Le succès de ce que j'ai publié anéantit mes doutes de provincial; une réputation que l'on m'a faite, d'auteur difficile dissipe mes préjugés d'écrivains. Il ne me reste qu'à prendre le ton d'un homme pour communiquer aux autres hommes le sens et la saveur de mon bonheur.                       

                                                                                    XVI

    J'ai acquis quelques certitudes : l'homme n'est pas l'enfant de sa mère mais de sa vie : et il doit s'attacher à en déchiffrer le langage : faisant parler les faits; et les traduisant dans sa propre langue, ou bien, conservant à ses événements leur caractère admirable; et choisissant celui qui doit être, par le poète, dégagé de son humanité. Tout cela est plus ou moins esquissé dans mes livres, il n'y a plus qu'à en retirer la leçon.

    JOE  BOUSQUET