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Sédiments_Avant-Garde_© - Page 262

  • Rencontre sous-titrée

     

    (A celui qui ne lit pas.)

     

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    Des heures de silence. Des heures et des heures de silence complet. Des heures d’absolu silence. Pas de mots, pas de paroles. Un silence plus.... Des heures et des heures de silence. Du silence et rien que du silence. Plus de mots, plus de paroles, plus de pensées, plus d’existence de cette sorte. Plus de mots, plus de paroles. Plus rien d’humain dans tout cela. Du silence et du silence. Pas de mot. Pas de mots. Aucun. Pas un souffle qui ne murmure une parole. Parole pourquoi ? Pour dire ? Dire quoi ? Ce qui ne se dit plus. Ce qui ne se dit pas. Qui n’a pas d’autre existence. Que le silence. Dans ce silence. Il y a quelque chose que personne ne peut voir, ne peut prendre, ne peut voler. Dans ce silence il est une chose que personne ne dérobe et qui en soi ne se dérobe pas. Le silence ma belle est ce qui conserve par delà tout. Je te le dis à toi parce que tu es la seule à le comprendre. Si tu te souviens nous partagions nos silences. C’était un don ce silence. Un don de l’une à l’autre. Un don. Lui aussi il partage mes silences. Et c’est le plus beau et long moment qu’il m’ait été offert de vivre. Des silences en sa présence. Je suis là et je le regarde. Suis-je là ? Vraiment je ne le sais même pas. Parce que ses regards me frôlent.

    Parce que ses mains volent autour des choses, les effleurent à peine. Et je suis regard. Uniquement cela. Un long, très, très long regard. Je me demande qui il est en le regardant toujours. C’est étrange mais je ne peux pas détacher mon regard de ce corps qui me fait face. Je dis corps parce que je n’ai pas d’autre mot pour lui. Il ressemble à un homme mais parfois je te retrouve dans ses gestes. Alors toi... Tu peux comprendre cela ? Moi je ne me comprends plus. Je disais. Disais-je seulement ou bien étais-je en train de rêver ? Vraiment parfois je dois me forcer à parler encore. Je n’aime pas cela du tout. Qu’ai-je à dire ? Rien vraiment rien. Ou bien te dire.... Te dire seulement les phrases que je connais, dans ce langage que je connais. Celui qui est écrit mais pas dit avec la bouche. Dit avec les mains qui jouent sur les touches de ce matin qui se lève. Ces cieux qui se découvrent comme il découvre les traits de son visage...Devant moi. Pour me laisser lire à moi seule les pensées qui se dessinent. Je le regarde mais j’hésite toujours à parler. Il est tellement beau ce silence pourquoi le briser...

    Le son de ma voix, je l’ai oublié. La sienne emplit l’air. Mais je n’entends pas les mots. Je distingue des sons. Je reconnais des mots, des phrases. Il parle de ce monde je crois. Parle ou bien décrit. Peut-être voudrait-il dire quelque chose mais je ne le crois pas...

    Je ne connais pas l’odeur de sa peau. La forme de son corps je la devine.
    La chaleur de ses mains, je l’imagine. Mais je ne vais pas oser. Il est trop prés de moi. Trop proche pour que cela ne me trouble pas. Je le suis assez comme cela. Je tremble ? Non, je supporte la tension l’air de rien. Comme une enfant je fais semblant. Mal je le sens. Laborieux. D’ailleurs tu sais, je ne sais pas qui il est. Je viens de le rencontrer. Mais dans cette foule, je n’ai vu que lui. Etrange que je n’ai rien vu venir. Etrange que je ne me sois pas plus méfié. Je suis méfiante tu sais. Méfiante car _ je connais assez les dégâts et les catastrophes que ce genre d’histoire idiote peuvent produire (1). Je me méfie alors tu sais j’évite les hommes comme on évite les arbres en pleine nuit. Au hasard en découvrant une forme plus noire, plus haute. Avec tout ces sens de petit animal en éveil. Pour ne pas chuter dans les bras d’un inconnu. Pour ne pas choir blessée dans un coin de sa propre vie. Pour ne pas vivre cet amour qui déchire et qui déchaîne en soi les affres de la passion. Parce que cette passion...Je me suis souvenue...Elle m’a brisé une fois. Je ne veux pas la recommencer. Alors je m’éloigne. Gentiment, l’air de rien. Comme s’il allait se passer une chose grave qu’il fallait à tout prix éviter. Et je lis les philosophes latins.

    Ah "les consolations" de Sénèque ! Je les lis et relis comme une pauvre âme à la dérive accroche ses dernières forces a un radeau. Tous les soirs, consciencieusement, je ressasse "Les consolations". Je les mâche comme une condamnée. _ C’est indigeste la littérature latine. _ Très souvent, je sombre dans le sommeil. Plus efficace qu’un somnifère ! Mais je sens, jours après jours et cela malgré des efforts surhumains, que je suis en train de couler. Ses yeux sont trop doux, bien trop suaves pour rivaliser avec tous les moralisateurs de la terre. Ils m’emportent et là la lutte devient acharnée. Heureusement je suis forte. Ouf ! J’échappe de justesse au naufrage. Des avances lui aurais-je fait ? Impossible. Je m’interdis _ tout recours à ce genre de tentative. Les aurait-il refusées ? Très certainement.

     

     

  • Et puis un jour...

     

     

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    Le silence l'a emporté. Elle s'est tue. Elle a fermé définitivement la bouche puis le regard et enfin elle a posé la plume à côté de la feuille. Et l'encre s'est mis à sécher dans la petite bouteille sur laquelle elle n'osait pas poser le bouchon. Un jour il n'y eut plus rien à écrire : le sang sec sur les plaies, la gorge nouée; elle se mit à regarder l'horizon comme dans un vieux film de sa jeunesse. Elle se mit à penser qu'elle était devenue aveugle et sourde et muette et immobile comme une sorte de statue. Elle se dit enfin sur le bord de la falaise qui la portait encore qu'il fallait être bête pour ne pas s'apercevoir que la mort entrait en nous sans demander la permission. Le ciel avait cette couleur indéfinissable des soirées qui précédent l'orage. Le vent balayait la lande. Toujours comme dans un vieux film elle ouvrit un livre. Il s'intitulait : "Aimez-vous Brahms...?", elle le reconnaissait. C'était le sien. Mais aucune pensée supplémentaire ne fut autorisée à pénétrer son cerveau. Elle reconnaissait à sa volonté le désir de ne plus formuler. Tout comme elle avait posé la plume, puis fermé la bouche, puis clos les yeux elle ne pensait plus, ne souhaitait plus penser. Son visage était lisse comme la feuille blanche à côté de laquelle elle avait déposé...une plume...d'oiseau.

    (1) rencontre sous-titrée, note de texte.

     

     

     

     

     

  • Toujours à la recherche de....

     

     

     

    Leurs regards se croisaient, s'évitaient parfois, plongeaient l'un dans l'autre, avidement.


    Ils partageaient cette exploration comme une respiration commune. Préparer avec précisions minutes et secondes comme ombres et contours, choisir couleurs et textures, délaver rapidement les moments de doutes, d'interrogations, jeter le flou. L'artiste affûte ses mines. Elle observe, patiente, les signes extérieurs, savoure les palpitations arythmées de leurs coeurs qui se croisent comme des passants pressés au détour d'un couloir encombré. Collision rapide, brutale, explosion hâtive. Accentuer les tensions, mener l'ensemble vers son point de rupture.

    Le soin avec lequel ils s'envisageaient les impressionnait parfois.


    Le vertige les prenait à l'idée de se perdre avec autant de constance. Lucidité en arme déployée, prête à détruire, sur le fil d'une tension presque devenue folle, alternant exécutions sommaires, évanouissements, contacts légers, elle choisissait seule le nombre de pas à effectuer, les directions à emprunter, celles à bannir. Assistant au dérèglement des sens, à la destruction des illusions, elle savourait les effets de son exigence, celle-ci menait vers un territoire encore inconnu, où la raison, il le pressentait ne pourrait s'exprimer. Au dernier moment un demi-tour léger redonnerait la liberté aux deux protagonistes de ce discours amoureux, stupéfaits de ressentir à nouveau leur solitude après ces quelques heures de recherches intenses, un peu ébahis de se retrouver aprés s'être tant perdus. Dans leur quête ils ne se perdaient jamais vraiment. Leurs yeux ne se quittaient pas. Le mouvement de leur corps agissait de concert. Un pas qu'elle initiait était immédiatement suivit du sien. Aucun geste n'échappait à sa perspicacité. Chaque  seconde était emplit de leur présence commune. Une présence telle qu'il lui fallait aprés chaque séparation déployer des trésors d'adresse pour ne pas ressentir l'immense désert qui suivait son départ. Désert de sens que l'existence devenait sans lui. Désert d'absence où le vent irait hurler sa douleur. Pour ne pas ressentir cela, elle devait lutter. Combattre. Remporter était son seul but, son unique objectif. Et cela fonctionnait. Vaincre sa passion. Vaincre et dominer cette relation passionnelle. En faire une histoire, empêcher les flammes d'envahir son territoire, son intimité. Vaincre et remporter la victoire sur elle-même, remporter la victoire et triompher à demi-mots, dans l'ombre et l'obscurité de ses désirs sacrifiés. Dans la pénombre se réjouir de détenir les clés de sa propre compréhension, les clés. Ne plus être le jouet de ses désirs, en devenir le maître. Dominer ses passions. Plaisir intellectuel s'il en est. Celui-ci se révélait être de premier choix. De première catégorie et ne souffrait pas la médiocrité des sentiments.

    Elle ne l'aurait pas supporté.

     

     

     

     

     

     

  • L'amour des reflets.


     

     

     

     

     

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    (Que se passe t-il pour ceux qui aiment les reflets? Qui aiment s'en nourrir?)

    Lui est un reflet. Il est au temps présent le reflet d'un autre, au temps passé. Le regarder c'est se mirrer dans une image étrange... Au gré du courant, son visage se déforme. Il laisse entrevoir la patine de l'autre abimé par le temps, oublié, transformé, idéalisé, recomposé. Je fais pause un instant. Je me mets à réfléchir. Je ne regarde plus vraiment. Je vois autre chose; je vois autrement. Je baisse les paupières pour mieux saisir cette perspective. Avant. Arrière. Aller-retour. Toujours fuyant, tournant de l'oeil à chacune de mes avancées... Le fugitif tente à nouveau de se dérober. Mais je tiens, bien décidée à ne pas me faire avoir une autre fois. Un jour je me souviens, il s'était fait oublier. Habitué du jeu de la souris et du chat, il m'avait eu à l'usure. La pause était trop longue. Je m'étais endormie un instant. Il en avait profité pour s'éclipser. J'étais repartie dans mes pensées. Là c'est non! Je tiens. Il ne m'aura plus. Je le vois, le cherche, le trouve, ne le lâche plus. A ce jeu je me sais attendue, j'aiguise mon attention. Tranquillement je déroule ma pellicule. Il apparait enfin dans le champs. Et voilà je le savais. Il n'a pas résisté. Un. Et puis deux. Je suis là. Observant, attentive, le moindre de ses mouvements... Guettant le moment où il tenterait une échappée pour mieux triompher à part moi-même, tirant la langue au coquin de sort qui m'a faite si distraite et reprenant en main nos deux destins, inévitablement, immanquablement lié. Il joue de son charme, tente de m'envoyer promener. Je résiste. Je reste là. Je continue à observer. Il ne sait rien de tout cela. J'imagine qu'il peut difficilement comprendre ce que je fais en le regardant. D'ailleurs il doit s'étonner de ces longs regards fixes... qu'il me rend pourtant. Je continue à fixer mon attention sur lui. Rien ne m'échappe, de la tension soudaine des traits de son visage au relâchement suivant, rien ne s'échappe de mon regard. Il y a que je ne sais pas faire autrechose que rêver en le regardant et je veux comprendre. Je suis fascinée et je veux savoir ce qui déclenche ce processus. Je suis entièrement absorbée par sa présence. Le moindre changement de lumière, la plus petite parcelle de silence est retournée, interrogée, decrite. Je veux comprendre. Je veux savoir. Mon  corps est devenu un grand livre sur lequel j'écris. Je note mes observations. Les sensations qui naissent sont mes canevas. Chaque fil se tend, la toile est nouée par l'émotion, par les tensions aussi. L'atmosphère s'électrise au moindre contact. J'écoute, je respire, j'entends, je fixe lentement toutes ces sensations à l'aide du vernis de la mémoire. Je ne me refère plus à ce qui se passe autour de moi, mais seulement à ce qui se passe à l'intérieur. Comment ce type d'apparence banale, au visage peu gracieux, à la démarche lourde, peut susciter autant d'interrogations? Comment puis-je me laisser fasciner sans réagir de manière éfficace à ce piratage? Mon esprit est détourné, la matière disparait sous la lumière diffuse d'un spectacle hors du commun, le mélange des images. Ce que je vois n'est plus ou en tout cas tend à être remplacé par ce qui fût. Et ce qui fût m'obsède. Invariablement, il m'arrive de ne plus répondre à rien. Tant cette image est envahissante, car la présence mêlée du  souvenir et celle de la vie (lui tout prés)  à laquelle je ne participe plus vraiment est bouleversante. C'est ce qui je crois me fascine le plus, en dehors de la personne qui déclenche cette sorte de mécanisme étrange, ce voyage intérieur. Cette lente exploration du tissu mémoire, cette lente immersion dans l'invisible. Les fils se tendent avec une odeur, un geste, un mouvement, un son, une musique. De petites aspérités en éclats de lumière ressurgissent des millions d'informations... se recompose le souvenir en surimpression. Illusion de ne plus être là. Trop envahit par ces sensations pour être présente, parmi les autres. Décallage systématique contre lequel il faut lutter, avec lequel il faut surtout composer. Qui donne matière à écrire en notes mal rédigées, toutes ces impressions dont nous ne sommes pas maître et qui nous fascinent par leur richesse et leur abondance.

     

    Mais je suis la seule à savoir et à comprendre que cette alchimie qui nous lie, est la corde qui nous étranglera bientôt. Car nous ne sommes pas ce que je vois, ni ce que je ressens, même s'il me plaît de le raconter avec ce ton. La réalité ressemble à un vieux film en noir et blanc. Son regard n'est autre que froid, et mon corps n'est qu'une croix de chair clouée à son désir. Pauvre papillon au regard flou, aux mouvements rapides et fluides. Je sais ce que je vois dans son regard. Et ce n'est pas une chose qui fait envie.

     

    Il faut bien l'avouer, toutes ces années je cultiverais un jardin emplit de plantes vénéneuses.